Posté le 15 avril 2018 dans Genève Internationale, ONU, Société | 0 commentaire
Régénérer la planète, économie et société :

Au travers de sa démarche devenue livre (1), Isabelle Delannoy, pose les jalons d’une approche économique à la fois nouvelle et récemment éprouvée. Au fil des pages, elle affirme une évidence : l’économie peut s’intégrer pleinement dans un modèle environnemental et non pas le contrarier.

 

Entretien avec Isabelle Delannoy 

Tous nos modèles économiques et fonctionnements, hérités de la révolution industrielle sont-ils obsolètes ?

Tous ces modèles sont obsolètes. La planète a été davantage modifiée ces dernières décennies que depuis le début de l’humanité. La science ne peut pas prévoir les proportions d’un emballement futur du climat qui peut aboutir à un autre fonctionnement de la planète. Cette économie extractive a été mise en place depuis environ 5000 ans mais son impact a été multiplié avec les énergies fossiles. D’un point de vue économique, les concentrations de pouvoir, de richesses, sont telles que les flux financiers ne redescendent presque plus dans l’économie réelle. Elles ont pris la main sur nos démocraties et les mettent en danger. Je me suis intéressée à des modèles capables de régénérer des systèmes vivants économiques et sociaux qui ont pour conséquence de diminuer les impacts écologiques. Des logiques nouvelles sont apparues de manière isolée et il s’agit donc de les réunir. Elles vont de l’ingénierie écologique à la permaculture en passant par l’écologie industrielle, jusqu’à la gouvernance et sont d’une cohérence et d’une logique incroyables.

Vous démontrez que la nature régénère ses ressources et constatez que l’humain fait l’inverse. L’homme n’est-il pas « programmé » pour vivre dans la nature?

L’homme, comme les autres créatures vivantes, fait partie intégrante de sa planète: nous sommes constitués des mêmes molécules. Si la planète va mal, l’homme aussi. La multiplication des cancers pour des causes environnementales, l’épuisement, montrent notre communauté de destin. Mon travail et ce livre ont changé profondément ma vision de l’être humain.  Il fait partie du vivant mais il se distingue par sa capacité d’organisation et de conceptualisation. Il est capable de prendre conscience des spécificités des autres espèces grâce à sa faculté d’analyse. S’il reste une possibilité de réagir contre l’emballement du climat et l’effondrement du château de cartes de la biodiversité,  ce qui n’est pas sûr, ces qualités pourraient faire la différence. L’humain est capable d’inventer un réseau qui connecte des intelligences grâce à une technologie appelée internet. Internet a ouvert une organisation nouvelle en abolissant la structure pyramidale de nos sociétés en modélisant tout bonnement le modèle de la nature.

« La vie n’a pas conquis le globe par la compétition mais par la mise en réseau » (2)

Imaginez que l’homme décide en réseaux, de mettre en place un système sociétal qui régénère et restaure nos territoires, il en a la pleine capacité, il faut juste qu’il le décide.

Une-economie-symbiotique

 

N’est-il pas utopique de penser que la symbiose de l’économie constitue une réponse à tous les maux de la terre ? 

La crise écologique est clairement liée à l’extraction incontrôlée et exponentielle des ressources. Le système symbiotique montre qu’on peut restaurer les écosystèmes en produisant des richesses. Une synergie avec le vivant se constitue et crée une productivité que, ni les écosystèmes, ni l’humain ne possèdent chacun isolément. Par exemple, les stations d’épuration végétales sont très efficaces. Elles s’intègrent dans la cité, forment des parcs accessibles aux habitants, créent du lien social, et permettent le retour d’une biodiversité. Il a été démontré que les zones humides sont les plus productives de la planète. Alors imaginez un maillage sur la terre entière en intégrant les spécificités locales. Le système est moins onéreux, il restaure les équilibres naturels et crée de nouvelles filières économiques et locales. Vous avez des exemples en Egypte, au Sénégal. En fait, toutes les zones humaines génèrent des eaux usées, lesquelles permettent de créer ces écosystèmes. Il est essentiel que ces systèmes soient diffusés partout. Cela favorisera une absorption de carbone et la restauration des fonctions socles qui sont à la base des équilibres planétaires, ce qui est peu abordé même par le GIEC.  La nature offre son « expertise » à qui veut bien l’intégrer et les exemples sont multiples : les abeilles sont plus efficaces que les drones pour la pollinisation et coûtent moins cher. Un homme comme Sepp Holzer (3)  grâce à son expertise de la nature, lui donne les moyens de transformer un climat semi-désertique en climat méditerranéen. De multiples exemples apparaissent çà et là et démontrent que l’homme est capable de créer des oasis et de régénérer des territoires.

Le seul obstacle pour empêcher cette reconversion est notre regard

isabelle

 

 

 

Du point de vue social et économique, la civilisation extractive a besoin d’endroits pauvres pour extraire et transformer à bas prix et, à contrario, d’endroits assez riches qui absorbent cette production. Le schéma est toujours le même : consommer et jeter pour relancer la machine. Cette différence de développement génère in fine des crises économiques et sociales. Dans une économie de collaboration en réseau, les niveaux de développement s’égalisent pour pouvoir mutualiser les biens et services. Ce sont des écosystèmes d’industries comme l’écologie industrielle ou des économies d’accès comme mobility car sharing  à Genève. Ces entreprises locales sont capables de tirer toute la valeur ajoutée d’un produit ou d’un service parce qu’elles travaillent de concert et leurs différences induisent leur complémentarité. L’économie symbiotique démontre que tous ces nouveaux modèles économiques et productifs se structurent de la même façon, couvrent l’ensemble de l’économie et sont complémentaires entre eux.  Il est difficile de savoir si elle apporte une réponse définitive à tous les maux de la terre. Mais c’est une réponse immédiate : ces modèles se sont développés depuis 50 ans et sont mûrs. Bien qu’ils soient apparus de manière non concertée, ils  possèdent une cohérence incroyable entre eux, alors imaginez qu’ils soient mis en synergie !

Avez-vous convaincu des gouvernants et responsables politiques ?

Une reconnaissance internationale permettrait certainement de diffuser ce modèle car les scientifiques le disent : il est presque trop tard. ». Le sommet (https://globalclimateactionsummit.org) qui sera organisé à San Francisco en septembre prochain se donne  pour date limite 2020.

La Secrétaire générale du Commonwealth, Patricia Scotland veut monter le programme « One Earth » et nous l’avons aidée en réunissant toutes les têtes de réseau de cette nouvelle économie. Depuis la parution de mon livre, des acteurs locaux nous contactent. La Gironde par exemple se lance dans un processus de gouvernance symbiotique. Il faut que cet écho se transforme en moyens pour mettre en place des programmes.

L’ONU a fixé une ligne au travers des ODD (Objectifs de Développement Durable). Entrevoyez- vous une compatibilité avec votre démarche ?

Oui en effet, les ODD sont un objectif, l’économie symbiotique un moyen pour les atteindre. Leur compatibilité est complète pour chaque objectif ! Si nous commençons, avec l’aide des organisations à réinventer les villes, sachant que la moitié de la population mondiale est urbaine, une métamorphose qui mobiliserait les acteurs des cités : habitants, entreprises, services, pourrait  s’effectuer rapidement.

L’expertise de l’ONU dans ce domaine, sa présence sur le terrain  et son appui international s’avèreraient précieux voire déterminants.

  1.   L’économie symbiotique – éditions Actes sud (le livre sortira aux Etats Unis en septembre 2018) – Nota : ce livre est en tête des ventes du secteur économie en France.
  2. Lynn Marguilis et Dorain Sagan « marvellous Microbes » , The earth is all the Home we have
  3. Désert ou paradis ? – éditions colibris

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