Posté le 26 février 2015 dans Burkina Faso, Genève Internationale, Société | 0 commentaire
Entretien : Le Balai Citoyen au Burkina

Le Balai Citoyen : « Balayer ce qui ne va pas dans la société »

vidéo avec le Balai Citoyen

Nous avons rendez-vous avec le balai citoyen, pour un entretien avec les jeunes participants à ce mouvement de société qui est à l’origine de la révolution et de la chute du pouvoir intervenue en novembre dernier. Nous avons pu obtenir ce contact   grâce à Blandine Sankara qui a rejoint ce mouvement. Fondé en août 2013, son objectif est de  »faire du Burkina-Faso, une société juste et intègre, dans un Etat de droit démocratique » Les membres sont musiciens, étudiants, journalistes et avocat.

Idrissa Barry : Chargé de communication Zinaba Rasmane : Chargé à l’organisation Maître Kam : Porte-parole Piiga Souleymane Yameogo : Secrétaire Permanent Serge Bambara (Smockey) : Porte-parole Blandine Sankara : Membre Christian David Yanick Humeau Souleymane Ouedraogo (Basic Soul) Adjoint chargé à la communication Kambou Ollo Mathias Adjoint chargé à l’organisation Soumana Sanou

De gauche à droite et de haut en bas

Idrissa Barry : Chargé de communication
Zinaba Rasmane : Chargé à l’organisation
Maître Kam : Porte-parole
Piiga Souleymane Yameogo : Secrétaire Permanent
Serge Bambara (Smockey) : Porte-parole
Blandine Sankara : Membre
Christian David
Yanick HumeauSouleymane Ouedraogo (Basic Soul)
Adjoint chargé à la communication
Kambou Ollo Mathias
Adjoint chargé à l’organisation
Soumana Sanou

Pouvez-vous nous présenter le Balai Citoyen ?
Le balai citoyen est un mouvement fédérateur de plusieurs énergies. Il est né de la conjonction des différentes forces jeunes qui organisaient des activités de mobilisation et d’éducation populaire. Il a très vite été clair pour tous qu’il fallait monter un mouvement afin de fédérer ces énergies qui se manifestaient pour la démocratie et la lutte pour un Burkina nouveau. Lancé tout d’abord à l’initiative d’artistes (Smockey et Sams K Le Jah) rejoints par d’autres entités issues de la société civile : étudiants, avocats, ouvriers, journalistes, le mouvement a été lancé officiellement le 25 août 2013 sur la place de la révolution à Ouagadougou. Certaines activités, des marches, ont alors été organisées en revêtant une ampleur sans commune mesure avec les mouvements disparates qui s’étaient mis en place auparavant. La première vision de ce mouvement était la transformation de notre pays en un Etat véritablement démocratique. Une majorité de nos concitoyens ressentaient un profond besoin d’alternance. Le gouvernement burkinabé, majoritaire à l’assemblée nationale, voulait, en modifiant la Constitution, permettre au Président Blaise Campaoré, de se représenter pour un nouveau mandat. Nous avons alors constitué une force de proposition et même de pression. La responsabilisation du citoyen par le biais de son implication s’est alors manifestée par un soutien massif à notre démarche qui appelait « Chaque citoyen à son niveau, tout en évitant la violence, de poser des actes de refus et d’obéissance à ce pouvoir-là. » Un des éléments déclencheurs de la réussite de ce mouvement a été la déception devant l’inefficacité de certains mouvements comme le collectif contre l’impunité dont nous faisions nous-mêmes partie, qui étaient peut-être trop politiques. Nous ne sommes pas politiques, nous souhaitons la justice et la vérité, ce qui était impossible tant que le régime restait en place. Nous avons commencé par critiquer la démarche du collectif déjà cité pour très vite réaliser que nous pourrions très bien nous engager activement par nous-mêmes, notre capital sympathie étant important auprès de la population.

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Quelle a été la chronologie de ce mouvement ?
Dès 1998, le mouvement de contestation a commencé pour atteindre son apogée en 2014. Différents évènements se sont déroulés, qui ont eu pour conséquence la dissipation de la peur des représailles. La plupart d’entre nous étaient déjà engagés depuis longtemps comme Smockey musicien rappeur ou Maître Guy Hervé Kam qui a quitté le syndicat de la magistrature pour devenir avocat. Le printemps arabe en 2011 a permis à tous de constater qu’il était possible de chasser un dictateur. Nous nous demandions si cet évènement qui s’était déroulé dans l’Afrique blanche, était transposable en Afrique noire.

Nos camarades du Sénégal ont réussi à se mobiliser et à faire remplacer un président qui avait l’intention de rester.

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entretien avec le Balai citoyen

La Côte d’Ivoire a traversé ce même élan. Un déclic s’est produit en 2011 avec la mutinerie d’une partie de l’armée, le « ras le bol »est alors monté à son paroxysme. Même les commerçants qui n’avaient jamais contesté l’ancien président s’en sont pris au symbole de l’Etat. Vers la fin 2011, une amorce de mouvement intitulée « Blaise dégage »  n’a pas eu beaucoup de succès mais le noyau s’est mis en place à ce moment. En 2012, l’échiquier politique change, et nous constatons la montée en puissance du clan du frère du président. Tout le monde comprend alors qu’il y aura soit un référendum, soit le pouvoir sera transmis au « petit frère ». Tous ceux qui étaient engagés dans quelque organisation que ce soit, ont compris que l’alternative était de réunir les forces de contestation. Nous nous sommes mobilisés successivement pour la libération de personnes arrêtées lors de manifestations, pour les étudiants expulsés de la cité universitaire. Par la suite, nous avons organisé un hommage à l’ancien président Thomas Sankara puis la commémoration du quinzième anniversaire de l’assassinat du journaliste burkinabé Nobert Zongo, assassiné en 1998 alors qu’il enquêtait sur un homicide impliquant le frère du président. D’autres actions du même acabit ont rajouté de la détermination dans notre élan de prendre notre destin en mains. 2013 correspond concrètement au lancement de l’initiative du pouvoir visant à mettre en place le Sénat. Il s’agissait d’une manière subtile de modifier l’article 37*. Il a alors été clair pour tous qu’il fallait jeter toutes les forces dans la bataille. Tous les acquis obtenus au fil des années ont toujours été arrachés au pouvoir par la lutte sur le terrain. Le schéma d’intervention était donc clair pour tous : opposer un refus catégorique à toute dérive constatée du pouvoir en place.
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Avez-vous été satisfaits de la couverture médiatique nationale et internationale sur ces évènements ?
La plupart des burkinabés ne savent actuellement même pas ce qui s’est passé ! Les évènements se sont déroulés en novembre 2014, nous sommes en janvier 2015. Nous étions tous pris dans l’action, nous n’avons eu ni le temps de regarder les reportages, ni pu véritablement faire le point sur ces évènements. Nous pensons que la situation a cependant été relativement bien présentée et relatée, la presse a été présente et s’est intéressée de près à notre révolution. Blandine Sankara qui était présente en Suisse à ce moment mentionne cependant qu’il lui a fallu appeler son pays pour vraiment prendre la mesure de ce qui se passait et qu’elle a constaté une certaine déformation des faits relatés par la presse, notamment occidentale. Cependant, cette déformation semble avoir commencé sur place au Burkina-Faso entre divers collectifs et organisations qui, notamment, ont critiqué le Balai Citoyen. Il est également évident que la transcription de ce qui se passait, souvent dans la précipitation et dans l’action, avec beaucoup de forces en présence, pouvait difficilement être complète. La presse, qu’elle soit nationale ou internationale, ne connaissait donc pas la réalité de l’information car celle-ci était quasiment inaccessible. Les militaires qui montaient la garde devant les bâtiments ne savaient pas eux-mêmes ce qui se passait et nous demandaient des informations. Cependant même si le flou existait, les médias comme RFI, France 24 ou la BBC, tentaient de comprendre et d’expliquer. Certaines informations ont été biaisées car la plupart des observateurs présentaient Blaise Campaoré comme un démocrate qui a développé son pays et s’est investi pour que la paix revienne. Quand il est parti précipitamment, on voyait sur les plateaux de télévision, des pseudo-spécialistes parfois même burkinabés qui ne comprenaient rien, n’avaient aucune légitimité mais émettaient des analyses. Heureusement, cette vision déformée va certainement s’estomper avec le temps.

Quelle est la perception par population locale  des enjeux ?
Blaise est parti depuis deux mois seulement. Nos concitoyens ont compris que nous avons fait partir le président parce qu’il voulait changer la constitution. S’il avait réussi cette manœuvre, cela aurait été possible dans d’autres pays d’Afrique. Désormais, les dirigeants, voire les dictateurs, réfléchissent ! Cela démontre l’importance de ce texte fondateur. Les attentes étaient très profondes, tout le monde est à la fois content mais également impatient et la population risque d’être déçue car le changement va prendre beaucoup de temps avant que le système ne soit démantelé. Cette prise en compte de la population s’est traduite notamment dès la proposition du gouvernement de transition par le refus d’un ministre. Nos concitoyens se sont appropriés ce changement qui doit se traduire dans la réalité des actions entreprises. Pour résumer, nous nous trouvons dans une période d’incertitude normale qui durera encore un certain temps. Le slogan : «plus rien ne sera comme avant » est désormais entré dans la conscience collective. Cela constitue un changement total car chaque personne qui possède des responsabilités peut désormais être remise en cause s’il s’avère qu’elle n’est pas assez compétente, ou pire, corrompue. La transformation de la société avec ce principe constituera la prochaine étape. Il peut exister une certaine dichotomie entre la perception des évènements par le citadin et le villageois. Cependant, les villageois sont contents que : « celui qui a fait assassiner Thomas Sankara » soit parti et ça leur suffit. Pourtant, la plupart des gens pensaient que le jour ou Blaise partirait, ce serait la fin du monde, il s’agit donc aussi d’une forme de démystification : toutes les familles dans le pays ont rencontré un problème avec le foncier suite à des appropriations de terre par le régime, la population est également en attente à ce sujet.

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Pensez-vous qu’une ou plusieurs personnes soient capables et légitimes pour incarner ce changement ?
Un sondage avait été réalisé il y a quelques années. La question était : quels sont les jeunes qui pourraient incarner l’avenir pour le pays ? Cette démarche a très vite été abandonnée en raison du danger potentiel pour les personnes qui auraient été désignées. Thomas Sankara est une icône qui représente beaucoup pour notre pays et au-delà. Nous pensons qu’il faut reprendre les choses là où il les avait laissées car il n’a pas eu le temps, mais sans leadership individuel. Nous pensons que la qualité de ce pays, ce sont les ressources humaines. Des talents vont forcément émerger. Nous n’avons pas besoin d’un homme providentiel mais ceux qui émergeront auront l’obligation de bien travailler et de respecter les règles. Nous avons besoin de personnes qui prennent en compte ce qui a résulté de ce changement. La communication avec la population des projets de société est également impérative pour faire en sorte qu’ils puissent choisir librement leur candidat ou apprécier la politique publique proposée. Nous avons déboulonné un dictateur, notre action est déterminante pour notre pays et pour tous ceux qui se sont aperçus que c’était possible. Plus les jeunes seront actifs et engagés dans la société civile, sur le plan local, dans les partis politiques, plus le vivier de personnes de qualité émergera. Ces personnes devront avoir compris que le paradigme de l’homme fort qui demande des comptes à la population s’est inversé : c’est désormais la population qui demande des comptes aux dirigeants, quels qu’ils soient.

Le Balai Citoyen est en train de faire un maillage grâce aux clubs cibals, qui sont des réunions où chacun peut s’informer et s’exprimer. Des sections et des coordinations régionales sont constituées pour mettre en place des cellules de base au sein desquelles notre vision sera diffusée. Nous avons refusé d’intégrer les organes de la transition gouvernementale pour conserver notre indépendance. Nous constatons que nous avons eu raison d’accomplir cette dernière démarche.

Comment voyez-vous l’année 2015 et les futures élections qui interviendront en octobre prochain ?
La lutte pour la chute du régime nous a mobilisés et a requis toutes nos ressources ce qui nous a empêché de nous organiser pour le reste. Nous sommes en train de travailler sur la stratégie et la planification du mouvement. L’information des populations sur les enjeux en cours pour le pays se trouve au centre de nos préoccupations.

 

*Article 37  : Le Président du Faso est élu pour cinq ans au suffrage universel direct , égal et secret. Il est rééligible une fois.

 

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