Posté le 28 février 2015 dans Burkina Faso, Société | 0 commentaire
Entretien : Extra-Balle, réinsertion au Burkina

Extra-Balle

Alice Martin / cd  – thèmes : resocialisation, cas sociaux, pédagogie, réinsertion.

 Le 22 janvier 2015, nous rencontrons Eric Moulis à Bobo Doulassio. Ce toulousain est éducateur spécialisé. Il est le coordinateur Afrique de l’association Extra-Balle. Sous l’égide du conseil général des côtes d’Armor, cette association prend en charge des jeunes français désocialisés et leur propose de séjourner au Burkina Faso afin de rompre avec un environnement qui les entraîne dans une spirale négative.

Les jeunes sont adressés à l’association par le biais de l’aide sociale à l’enfance. La plupart d’entre eux ont perdu leurs repères. Il s’agit de leur proposer, sur une base de volontariat, d’accomplir un parcours en immersion totale, en Afrique et plus précisément au Burkina-Faso, jalonné par des découvertes et de scolarisation si besoin. Il peut alors entamer un changemen

22t dans la perception de son devenir. Même si, comme le souligne Eric, les résultats peuvent difficilement être évalués, cette méthode a fait ses preuves depuis une trentaine d’années. Le projet en Afrique est né depuis 17 ans, et il est présent depuis 15 ans au Burkina-Faso.Dominique Legoux , coordinatrice France de l’association et Bazier Boubacar, professeur au lycée français nous rejoignent. Chacun, dans son domaine, nous explique tour à tour l’intérêt social et pédagogique de la démarche.Eric connait bien le Burkina Faso pour y avoir vécu et travaillé. Il a souhaité se spécialiser dans le domaine de la solidarité internationale. Il est marié avec une burkinabè et ils ont une petite fille.Il y a quelques mois, Martine le Moal,La directrice d’Extra-balle a appelé Eric pour lui proposer le poste de coordinateur Afrique de l’association.

 Comment se déroule le processus d’arrivée des jeunes dans votre strucure ?

Extra-Balle reçoit des jeunes français qui ont entre 13 et moins de 18 ans. Ils sont placés par des départements au titre de l’article 375 du code civil qui prévoit une assistance éducative pour le mineur,   « si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ». Il est important de souligner que les jeunes qui sont reçus n’ont pas commis de délits mais ils sont considérés comme des cas sociaux. C’est à dire que leur environnement familial, relationnel, scolaire est défaillant à un moment donné. Le but est de leur donner un coup de pouce en leur proposant une rupture par un séjour en Afrique.Les jeunes sont orientés vers nos structures, ils choisissent de nous rencontrer et passent un premier entretien. S’ils sont convaincus, ils valident leur décision par courrier. Le séjour sera séquencé en deux périodes.Ils seront accueillis et hébergés en Bretagne, à côté de Guingamp pendant douze semaines et préparés, en quelque sorte, à l’Afrique. Des épreuves sportives, des causeries sont organisées ainsi que des modules de découvertes : Djembé, danse africaine. Pendant cette période, ils rentrent chez eux tous les quinze jours. Au bout de 12 semaines, ils auront pris la mesure de ce qui les attend et ils donneront ou pas leur accord pour partir en Afrique. Dès leur arrivée à Ouagadougou, ils sont t pris en charge par la deuxième équipe sur place par des « Grands Frères » burkinabès. Le Grand Frère prend chaque jeune sous son aile, l’accueille dans sa famille. Il lui donne un nom africain et va l’accompagner en permanence pendant quatre mois. Le Grand Frère et l’éducateur organisent un programme de voyages pour le jeune. Une itinérance qui va lui permettre de découvrir plusieurs facettes du pays. Juste avant la mi-parcours, une épreuve appelée exploit lui est imposée. Il s’agit d’une épreuve à la fois sportive et humaine : marche, vélo, découverte. Le but de cette épreuve est d’apprendre au jeune à percevoir ses limites.Pendant les deux mois qui restent, le jeune suivra des stages en entreprises, une remise à niveau scolaire si nécessaire et d’autres voyages seront programmés.Par une immersion totale dans le tissu local, les jeunes écrivent leur histoire sur une page vierge. Rien ne vient parasiter cette immersion. Ils ne se voient pas entre eux. Leurs noms et prénoms ont été effacés temporairement. Le participant ne voit que son Grand Frère et l’environnement de celui-ci. Cette présence 24 heures sur 24 est difficile et crée souvent quelques heurts pour un individu qui n’a pas l’habitude de suivre des règles, mais c’est un passage obligé. Plusieurs étapes sont envisagées et adaptées en fonction de sa personnalité et des opportunités trouvées par l’éducateur et le Grand Frère. Ces derniers vont assurer cette présence continue qui entraînera un changement de posture du jeune vis-à-vis de ce qu’il ressentait auparavant comme une autorité insupportable. Cette autorité se transforme au fil des semaines en partenariat, en dialogue et en amitié. Il est étonnant de constater que ces jeunes possèdent des capacités dont ils n’ont pas conscience et il nous importe de leur donner les moyens de les révéler.A l’issue de cette période, une analyse est faite en la présence du jeune. Il va alors s’apercevoir qu’il possède des clés pour décider de son avenir et ce, en dépit de son environnement habituel qui restera le même. II aura cheminé pendant quatre mois et sera apte à prendre des décisions en ayant modifié ses repères.

Comment les grands frères sont-ils recrutés ?

Les grands frères sont recrutés via l’ANPE locale, nous proposons une fiche de poste sur laquelle sont spécifiées plusieurs obligations : accueil du jeune, écrire français. Ils sont rémunérés, des primes viennent s’ajouter pour l’hébergement, le carburant. Au bout de 8 semaines, une semaine de coupure, un autre Grand Frère prend en charge le jeune. Nous accueillons 7 jeunes, garçons et filles au maximum. Au bout des quatre mois, certains peuvent choisir de prolonger de deux mois en deux mois si les conditions le permettent. Un de nos candidats vient de finir une période de six mois, il est reparti en France et il nous a recontactés. Il est inscrit à l’école française et passe son BEPC alors qu’il était complètement déscolarisé.Pendant une semaine, à son retour d’Afrique, le jeune va rentrer chez lui puis revenir dans nos locaux en Bretagne pour graver le récit de son parcours sur un DVD.

Pourquoi l’Afrique ?

La rupture recherchée s’effectue tout d’abord par rapport à l’environnement. L’Afrique fait changer tous les repères, l’éloignement ainsi que la culture placent l’enfant à une place qui est différente. L’enfant ne fait pas peur à l’adulte, ses exigences vis-à-vis par exemple de la société de consommation ne sont pas applicables ici. Il va se coucher tôt, trouver un rythme, faire attention aux maladies, il apprend à se prendre en compte complètement. Cela permet souvent d’arrêter la consommation de cannabis et même cigarettes. Ce contexte géographiquement est éloigné et surtout distinct du mode de fonctionnement auquel il était habitué. Il aura perçu un autre modèle et une autre façon de fonctionner. Il lui appartiendra alors d’appliquer ou pas ce qu’il a appris.

Quels sont les retours que vous recevez sur l’efficacité de la méthode de rupture?

Ce travail du personnel est passionnant : il nécessite un investissement très important en termes de suivi, d’investissement et d’originalité également. Nous échangeons énormément car le dialogue est primordial. Les retours sont assez difficiles à évaluer, nous sommes au Burkina et pas à Lourdes, il n’y a pas de miracles. Il se passe toujours quelque chose mais si le jeune retourne dans un environnement défavorable, il peut très vite retomber dans ses travers passés. Pour d’autres au contraire, des déclics se mettent en place et les portent pendant un temps car ils peuvent se référer (ou pas) à des points de repères qu’ils ne possédaient pas auparavant. Cela permet en tout cas à l’enfant d’identifier sa place par rapport à sa famille naturelle : suis-je dans une famille aimante et présente ou pas ?L’avantage de pouvoir présenter des alternatives à ce jeune lui permettra également, arrivé à l’âge adulte, de ne pas reproduire les conditions qui l’avaient désocialisé. Nous ne sommes jamais sûrs d’avoir réussi et sommes confrontés à des attitudes diverses. Cependant globalement, la souffrance et donc la violence se sont atténuées. L’ouverture à une autre culture leur a aussi permis d’envisager autrement leur environnement.

 

 

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