Posté le 13 février 2016 dans e-commerce, Société, Syrie | 0 commentaire
Entre Damas & Genève : la guerre pacifique de Rania.

Je rencontre Rania Kinge lors de la préparation du souk syrien organisé par le eComSouk “Made by Syrian Women” à Genève. Habillée en survêtement au milieu des cartons alors qu’elle réceptionne les paquets de marchandise tout juste livrés.

L’échange avec cette personne talentueuse, enflammée et d’un courage à toute épreuve me surprend et me touche. Son expression est ponctuée d’arguments forts, émouvants, qui révèlent sa profonde humanité, une vision du pays et même des solutions pour le futur.

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crédits photos ITC

Votre parcours :

Je suis arrivée en Suisse lorsque j’étais enfant, mon père était fonctionnaire international. J’ai ensuite pu suivre mes études de management en occident. J’ai eu la chance de pouvoir apprendre. J’ai ainsi passé ma jeunesse à côtoyer, au collège du Léman, des personnes qui étaient favorisées par les circonstances comme je le suis. Il est étrange d’imaginer que le destin aurait pu choisir une de mes sœurs, dont j’entraperçois le visage dans la cité de Damas ou d’Alep sous leurs longues tenues. J’ai donc poursuivi un cursus dans le domaine économique entre Europe et Etats-Unis. Vers l’âge de 25 ans, je me suis rendue compte malgré moi, que je possédais un don pour le design. J’imaginais des objets d’art et des décorations d’objets. Après quelques pérégrinations sur plusieurs continents, je suis retournée dans mon pays d’origine et ce fut le choc. En déambulant dans certaines rues de la capitale qui n’ont pas changé depuis des millénaires, j’ai suivi les pas de tous ceux qui avaient marché, vécu dans cette cité. Appelez ça réminiscence ou révélation mais j’ai été emportée par un appel profond et inexplicable qui m’a poussée à me diriger vers les artisans et leur savoir-faire immémorial. J’ai réalisé à quel point ces petites mains, travaillant sur un coin de table, étaient capables de restituer, de leurs doigts agiles et précis, des techniques artistiques transmises depuis des centaines de générations. Ces objets frappent l’imagination en capturant véritablement le regard par leur façon et la technique employée.

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A cette époque, je me suis aussi aperçue qu’un changement était en train d’intervenir. La population syrienne, attirée par la société de consommation qui s’installait, était désormais plus préoccupée par l’acquisition du dernier gadget électronique à la mode que par l’achat d’un objet local. Les boutiques électroniques et de biens occidentaux fleurissaient aux dépens d’échoppes traditionnelles qui fermaient. Cette situation avait également pour conséquence économique la paupérisation accrue des plus pauvres qui n’avaient plus leur place nulle part.

De ce fait, la production et par la même, le savoir-faire étaient en train de se perdre. Tout un pan de la culture de mon pays risquait d’être anéanti sur l’autel de la pseudo-modernité qui était en fait un consumérisme appauvrissant culturellement et même financièrement.

Ajouté à ça, j’ai rencontré des femmes qui étaient pour la majorité, laissées pour compte dans un pays, comme dans la plupart du Moyen-Orient, où la condition de la femme n’est souvent que virtuelle.

Avec des idées sorties de mon imagination inspirée par l’art traditionnel syrien, j’ai décidé de monter des ateliers d’artisanat en faisant appel à des femmes. Je leur ai fait réaliser des objets d’art, de la marqueterie, des tissages. L’idée était que tout objet réalisé puisse rapidement être vendu et génère un revenu rapide. Je précise que les bénéfices de ces ventes sont reversés intégralement aux femmes et donc aux familles.

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Atelier à Damas

Atelier à Damas

Grâce à un financement initial (familial), j’ai pu investir, une partie de mon appartement s’est transformée en atelier. J’ai récolté des pierreries, acheté des machines. J’ai fondé cette entreprise sociale nommée Damascus Concept  , une approche inconnue ici et inspirée par mon expérience en occident. J’ai monté un site web http://www.raniakinge.com  proposant les produits et ce fut un succès immédiat. J’ai la forte conviction que la réunion entre la technicité d’une approche commerciale occidentale, utilisant les technologies modernes est applicable pour mettre en valeur des produits de conception moderne mais inspirés par ces traditions millénaires.

Une ville comme Damas, avec ses ethnies différentes me faisait finalement penser à New-York où il y a des quartiers chinois, italiens… Le mélange de ces cultures et de ces ethnies dans un melting-pot où se croisent toutes les influences ne pouvait qu’être prolifique pour les échanges, notamment commerciaux car il possède en lui une richesse profonde. J’étais convaincue que ce que j’avais vu à New York pouvait être valable à Damas.

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La guerre :

Depuis 2011, le pays se trouve au milieu de toutes les abominations. Devant ces dizaines de milliers de vies et de familles anéanties, ces villes si belles, ces monuments détruits, je ne peux m’empêcher de penser que ce gaspillage était évitable et je pleure mes frères et sœurs disparus.

De mon côté, j’ai continué à me battre, mais pas avec les mêmes armes. J’ai tenté de m’accrocher mais peu à peu je me suis découragée, le pays étant sous embargo et, devant cette catastrophe humanitaire, la vente de bijoux paraissait tellement décalée par rapport à l’urgence. Pourtant, le succès était là, les objets se vendaient

J’étais prête à abandonner quand j’ai eu soudain l’idée de contacter différentes entités internationales. L’ONU et ses institutions mettent en effet en place des organismes, rédigent des lois, tentent de trouver des solutions.

J’ai, entre autres, envoyé un message au Centre du Commerce International. J’ai obtenu une réponse au bout de trois semaines et les échanges se sont accentués. J’ai été encouragée par M. Cipriani chargé de l’approche commerciale des pays grâce à la mode ( Ethical Fashion Initiative) . De fil en aiguille, nous avons décidé d’organiser en février un eComSouk à Genève, au Palais des Nations puis au CCI, j’ai été aidée et accueillie par M. Es-Fih, du CCI également. (ITC e-solutions programme)

IMG_1941E-souk au Palais des Nations

J’ai récupéré des marchandises qui ont pu sortir du territoire malgré l’embargo. J’ai dû traverser plusieurs check-point, heureusement, et paradoxalement, mon look européen me permet de passer plus facilement. Pour les endroits où je croise des factions islamiques radicales, c’est toujours très dangereux et nous risquons notre vie en permanence. Le transport et la logistique  ont été pris en charge par Atlas Shipping puis par DHL.  Le programme Ethical Fashion du CCI a payé mon billet d’avion. Enfin, le CCI,  avec lée programme Women and Trade, ont payé pour le lunch qui a été préparé par l’association Food for Peace.

L’avenir :

J’aimerais lancer un appel pour que cessent ces combats et ces tueries. Si aujourd’hui vous tuez un islamique radical, vous en aurez 10 ou 100 qui se lèveront pour le remplacer. Si vous donnez aux populations la dignité de vivre de leur métier, de mettre en avant leur culture et leur savoir-faire, les ressentiments s’atténueront quand les gens pourront manger, nourrir leurs familles, être fiers de leurs parcours. Au lieu de dépenser des milliards de dollars en armement, investissez en au moins une partie dans la production de richesse en utilisant le savoir-faire des populations et en vous adaptant. Assez de haine, construisez un monde au lieu de le détruire !

L’ITC e-solutions programme est un portefeuille modulaire de services de conseil et de renforcement des capacités qui permet aux PME des pays en développement d’aborder de manière efficace, les marchés internationaux par le biais des canaux numériques.

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