L’ITC
(Centre du Commerce International) est une organisation internationale hybride mise en place conjointement par l’ONU (CNUCED) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Il offre un partenariat et une expertise visant à permettre un développement économique et humain via le commerce et les exportations.
Vous avez récemment évoqué un potentiel encore inexploité pour l’emploi des femmes, dans votre domaine d’activité.
La place de la femme dans l’économie est une conviction de l’ITC. L’argument le plus fort de notre plaidoyer est que ce potentiel inexploité constitue, preuves à l’appui, une perte énorme pour nos sociétés. Nous comptons plus de 90% des pays dans le monde qui ont au moins une restriction légale à la participation économique des femmes et 28 pays qui ont adopté au moins 10 lois discriminantes!
Nous essayons de convaincre les dirigeants qu’ils ont tout à gagner à développer l’emploi des femmes. Si on permettait aux femmes de travailler au même niveau que les hommes, le PIB augmenterait de 5% aux Etats-Unis, de 9 % au Japon. La diversité et l’inclusion des femmes est bonne pour la productivité, pour la croissance et encore davantage, pour la réduction de la pauvreté. Les femmes réinvestissent 90 % de leurs revenus dans leurs familles et proches communautés contre seulement 40% pour les hommes. Une estimation fait état de 865 millions de femmes qui pourraient être actives dans le circuit économique dont 812 millions vivent dans les économies en voie de développement.
Aucun gouvernement ne peut ignorer aujourd’hui ce vecteur économique essentiel sous peine de gaspiller son potentiel de croissance. Une fois que cette réalité est comprise, nous pensons qu’il faut agir à trois niveaux :
- L’égalité homme femmes dans l’économie doit devenir une norme et non plus une exception.
- Changer les lois grâce aux actions des parlementaires.
- Faciliter les opportunités économiques en faveur de l’entreprenariat des femmes.
Il est évident qu’il n’existe pas de recette universelle. Chaque pays doit être abordé selon ses spécificités, ses traditions et sa culture. Il est important de constater qu’il n’y a pas de clivage nord/sud ou est/ouest, la situation est beaucoup plus nuancée. Le Rwanda, par exemple, travaille depuis des années à promouvoir la condition féminine et est bien plus en pointe que nombre de pays occidentaux.
Atelier de couture en Ethiopie
Lorsqu’on se promène dans les couloirs de l’ITC, il est surprenant d’apercevoir dans certains bureaux, des présentoirs d’habits ou même des produits locaux. L’ITC serait-il vraiment une organisation à part dans ce domaine ?
L’ITC est beaucoup plus proche du secteur privé et même d’une «start-up» que d’une organisation classique des Nations Unies.
Dans nos bureaux, vous voyez des échantillons qui présentent un intérêt en termes de commerce et nous accompagnons la mise en place d’une stratégie commerciale pour que ces objets profitent à l’économie locale. On peut voir des textiles, des chaussures, des noix de cajou… A d’autres étages, ce sont des services d’intelligence commerciale et aussi un fort appui institutionnel aux pays. Notre organisation reste une entité à part dans le paysage international. Son caractère hybride dû à son rattachement aux Nations unies et à l’OMC qui lui permet de créer des passerelles entre les opportunités commerciales et le commerce sur le terrain. L’essentiel est de mettre en place des stratégies dynamiques et de s’affranchir de certaines pesanteurs. Nous sommes jugés tous les ans sur les résultats concrets et comptables du nombre de sociétés que nous avons réussi à aider.
Entre deux déplacements à l’étranger, vous recevez ou rencontrez de nombreux visiteurs. Quelle est la proportion entre institutionnels, société civile et organismes privés ?
Il s’agit d’équilibrer mes rencontres dans la proportion d’un tiers chacun. Les avis et contributions des trois sont indispensables pour permettre une action efficace et pérenne de nos projets sur le terrain. Notre agence travaille avec de l’argent public dont le but reste évidemment la réduction de la pauvreté.
Avec les gouvernements, il faut créer un environnement des affaires grâce aux traités commerciaux, aux règles et aux politiques économiques qui relèvent du domaine régalien.
Le secteur privé est présent au travers des institutions de promotion au commerce et à l’investissement, des chambres de commerce, associations de producteurs, fédérations professionnelles et organisations de femmes entrepreneures.
Enfin l’expertise du secteur privé et de la société civile grâce aux associations, fondations et aux ONG, favorise l’approche sur le terrain. Nous travaillons en ce moment pour aider les communautés de réfugiés et nous plaidons pour que cette problématique soit abordée sous l’angle économique permettant leur insertion dans la société.
Ayant commencé ma vie professionnelle dans le secteur privé, je reste convaincue que l’efficacité, le savoir-faire, l’agilité et même l’imagination peuvent se retrouver aussi bien dans le privé que dans le public.
De quels moyens de communication disposez-vous et quelle vulgarisation mettez-vous en place ?
L’information, la communication et la vulgarisation sont essentielles pour faire comprendre le message. Nous portons ce message en utilisant les média ; presse écrite, radio, télévision, web, réseaux sociaux, en organisant des conférences et des séminaires de formation mais aussi des cours en ligne au travers de notre Académie de e-learning.
Nous organisons aussi des évènements publics, tels que des défilés de mode et prochainement un souk sera mis en place où toute la Genève internationale et locale sera invitée. Ce marché installé au Palais des Nations le jeudi 11 février ainsi que sa plateforme en ligne eComSouk mettra en avant l’artisanat des femmes syriennes tout un symbole d’espoir et de dignité venant en aide à des familles entières de réfugiés syriens.
Pour la première fois cette année nous inclurons dans notre rapport annuel un étalon de mesure de notre implication dans le débat public et les réseaux sociaux, notre marge de progression reste encore très importante.
un souk
avec des produits syriens a été mis en place à Genève
Les Objectifs de développement durable (ODD) constituent désormais le point d’horizon à approcher par tout responsable de l’Organisation, quel est point de repère que vous vous êtes fixée pour l’ITC ?
Nous avons identifiés des objectifs tel que l’insertion des femmes dans l’économie, l’agriculture durable, le renforcement des institutions ou encore la création d’emploi. L’essentiel est de rester à l’écoute des pays. Je crois que les pays se sont approprié la dimension développement durable de cette « boîte à outils » dans laquelle ils peuvent puiser. Nous agissons toujours à la demande des pays ou de leurs institutions. Une fois que la demande est reçue, nous procédons à un diagnostic. Cela nous permet de comprendre les forces et les faiblesses et d’établir une stratégie qui suppose une validation par le pays et, par la suite, la mise en place d’un programme. Notre savoir-faire est constitué par la gestion des chaines de valeur, l’amélioration de la compétitivité des PME, l’intelligence et connexion aux marchés, le dialogue public-privé, ou encore l’amélioration de l’environnement des affaires. Tout ceci en vue d’utiliser le commerce comme levier pour la réduction de la pauvreté.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes qui aspirent à occuper des fonctions internationales importantes ?
Soyez vous-mêmes, ne vous fixez pas de limites, faites sauter les barrières, soyez passionnées par ce que vous faites. J’ai rencontré des centaines de femmes actives dans tous les domaines, elles sont portées par une énorme volonté de réussir, mais cette réussite nécessite un partenariat fort entre hommes et femmes.
Pour ma part, ce sont aussi des hommes qui ont cru en mes capacités et m’ont aidé à avancer dans ma carière.
La femme, ce n’est pas seulement une question pour les femmes, c’est une question pour les sociétés.