MERCI MT de m’avoir permis de réaliser ce reportage !
Un aigle caméraman prend son envol depuis le plus haut gratte-ciel du monde à Dubaï. Un milliard de personnes a visionné cette vidéo. Au-delà du buzz médiatique, nous rencontrons Jacques Olivier Travers à Sciez, sur les rives du Léman. Il a fait de sa passion un métier et de son métier, un chemin de vie.
Visite des volières
Quelques jours avant l’ouverture du parc, quelques personnes s’activent. Nous suivons pas à pas Jacques-Olivier qui nous décrit avec enthousiasme et détails ses pensionnaires abrités sous de gigantesques volières dans lesquelles pousse une végétation dense. Des cris stridents résonnent. Cà et là, des perchoirs, des blocs de pierre, des nids, des bassins. L’habitat des volatiles dont certains sont menacés, a été reconstitué. Ils cohabitent, adoptent les codes de leur espèce et se reproduisent. Quelques canards, oies, dindes et moutons circulent en harmonie avec ces rapaces sans être inquiétés.24 espèces d’oiseaux viennent visiter la volière et certains y ont niché. Les pensionnaires s’entendent bien entre eux. Quant aux humains, certains confondent parfois parc animalier et parc d’attraction. L’espace est disponible pour 1000 places : 400 couvertes et 600 en plein air.
Aigles, vautours, faucons, chouettes et hiboux, nous regardent passer, indifférents. Certaines espèces spectaculaires attirent les regards. Pour les autres, il s’agit de les mettre en scène avec des démonstrations et animations pour permettre au public de les mieux connaitre.Dans la volière crèche, des jeunes rapaces se croisent et apprennent à cohabiter, ils contribueront à permettre la reproduction des espèces menacées. Un arrêt dans la couveuse nous confirme d’ailleurs que tout est mis en œuvre pour pérenniser cet objectif.
Revenons sur votre parcours et l’évolution de la perception du public sur les rapaces et la vie sauvage.
Enfant, je vivais à la campagne et je rendais visite à une voisine paysanne. Aujourd’hui, les gens sont déconnectés de la nature. La faune sauvage se raréfie et sa perception est faussée. On aime les animaux sauvages des dessins animés, tant qu’ils ne nous embêtent pas.Le vivre ensemble ne doit pas concerner que les humains, il doit englober la nature dans son ensemble. C’est évident que les vidéos tournées ces dernières années ont contribué à changer les mentalités. Quand j’ai débuté il y a 25 ans, ce n’était pas le cas. Je me suis aperçu que pour intéresser les gens à cette cause, il était indispensable d’utiliser les outils d’aujourd’hui. Cette technologie concrétise aussi le rêve humain de voler comme un aigle ou de nager comme un dauphin. Cette perception fait appel à des sensations enfouies aux tréfonds de notre animalité. L’aigle qui a volé à Dubaï est en voie de disparition et de nouveau, grâce à ces vidéos, le public commence à comprendre. Bien sûr, nous nous servons de cette identification mais cela ne nous empêche pas d’effectuer le travail de fond ici au parc.
Etes-vous fauconnier ou naturaliste ?
La fauconnerie est une activité millénaire qui permettait aux hommes de chasser. Mon savoir-faire est évidemment inspiré par la fauconnerie et je l’utilise pour cette cause qui est la préservation des espèces. Cette approche me permet d’attirer l’attention sur le constat que certains vont s’acharner à sauver une espèce non menacée et laisser disparaître une autre. En Asie et en Afrique,dans les forêts équatoriales, des espèces sont anéanties et personne ne semble le remarquer c’est certes moins grave en Europe mais il faut rester vigilant.
Et puis, nous avons un réel problème avec les prédateurs. Les chaines ne veulent pas diffuser l’image d’un animal donnant la mort alors que les films et les séries sont de plus en plus violents et nous montrent des flots d’hémoglobine. Notre rapport à la mort est vraiment particulier ! Le postulat est pourtant simple : s’il n’y a pas de prédateurs dans la nature, alors il n’y a pas de nature. Dés que l’être humain empiète sur les zones sauvages, cela pose problème et on le voit bien avec les loups, les ours ou même les aigles. Par comparaison, les chats domestiques tuent environ 200 millions d’oiseaux par an en France. Si les aigles mangent 50 chats par an, le rapport semble acceptable. Je comprends les bergers qui restent présents au milieu de leur troupeau et qui défendent leurs bêtes. J’ai plus de mal avec ceux qui posent 2000 bêtes sans surveillance dans les alpages et crient au loup en constatant des pertes.
Vous avez appris à voler à des aigles ?
En vivant au quotidien avec eux, je me suis aperçu qu’un animal né en captivité sait se déplacer mais pas voler.Il m’a fallu 10 ans pour mettre au point cette méthode. Le vol nécessite un apprentissage, par les parents, de l’air avec les courants descendants, ascendants, tourbillonnants. On m’a pris pour un loufoque. J’ai alors médiatisé trois grands vols avec des oiseaux nés en captivité:le Mont Blanc, la traversée de la Manche et les chutes Victoria.Nous avons ensuite validé cette démarche avec des scientifiques. L’apprentissage dés le plus jeune âge, reste un atout majeur comme pour un sportif. Nous travaillons également pour que leur dépendance à l’homme ne soit pas trop importante afin de pouvoir les relâcher. Ces immenses volières y contribuent. Les jeunes qui restent ensemble pendant plusieurs années redeviennent sauvages très rapidement car ils se sont affrontés pour obtenir le meilleur emplacement, la meilleure nourriture. Pour les vautours, en revanche, nous n’arrivons pas à les rendre moins dépendants de l’homme pour l’instant.
L’apport de la technologie n’est-il pas contraignant pour les oiseaux ?
Le « solar impulse » de Bertrand Piccard ouvre la voie. Dans 10 ou 20 ans presque tous les avions seront électriques. Je pense que c’est la même chose. Au début les caméras pesaient 350 grammes, elles en pèsent aujourd’hui 70. Dans 10 ans elles pèseront 10 grammes et on pourra relâcher des oiseaux dans la nature et les suivre grâce aussi à l’amélioration de la transmission.Par exemple, la caméra nous a permis de comprendre qu’un oiseau longe le relief pour profiter de l’aérologie au point que ses plumes touchent le rocher.
Comment pourriez vous qualifier ou définir votre relation profonde, intime avec les rapaces ?
Jacques Olivier hésite.
Les gens vont penser que c’est fou mais un rapace me parle. Je vois un oiseau pendant cinq minutes et je peux vous raconter sa vie. Je n’ai aucune explication rationnelle à donner. Le matin je vais voir les fauconniers pour leur mentionner qu’un oiseau semble avoir tel ou tel problème. Iln’est pas à sa place habituelle, m’a regardé d’une autre manière. C’est indéfinissable mais cela relève aussi de ma présence avec eux. Cependant, ils parviennent toujours à me surprendre par leurs performances.Ils prennent leur envol à des hauteurs de 4000 mètres et me retrouvent sans se déconcentrer dans la vallée. Je pense maintenant que l’insulte « triple buse » pour qualifier un imbécile est injustifiée. Il est capable d’apprendre de retenir. Ainsi mes oiseaux reconnaissent ma voiture ce qui est pratique pour les retrouver. Quand je les accompagne en parapente, ils comprennent les mots ou l’intonation de droite, gauche, oui, non.
Dans une vidéo, vous citez un proverbe cherokee : Nous devons avoir le regard d’un aigle pour prendre la bonne décision. Avez-vous le regard d’un aigle ?
Je ne sais pas mais en tout cas, au travers du regard des aigles, j’ai modifié ma perception de la nature. Au début, j’ai fait l’erreur du passionné en me focalisant sur l’oiseau. Le vrai enjeu est que je ne pourrai pas réintroduire d’aigles dans la nature si elle n’est pas en mesure de les accueillir. Le soutien du public permet d’ouvrir des perspectives avec les politiques au point d’envisager sérieusement une réintroduction dans quelques années.
Les soutiens internationaux, scientifiques et partenaires
Il se trouve que l’ancienne Directrice de l’UICN était ma voisine de village. Nous avons monté un programme destiné à la protection du pygargue à queue blanche, un oiseau endémique, qui a bien fonctionné avec notamment le vol au dessus de la tour Eiffel. Cela leur a permis d’avoir une bonne visibilité et nous avons pu avoir accès à leurs données scientifiques. Nos contacts avec la communauté scientifique sont excellents. Nous testons des systèmes de suivis de balises sur nos aigles pour qu’ils puissent ensuite être implantés sur des oiseaux sauvages. Des appareils de contrôles de pollution ont été expérimentés. Nous essayons de comprendre les schémas de migration des faucons. Je peux leur amener des éléments sur les couloirs de vols qui leur permettent de compléter leur étude. En mettant des caméras dans les nids, nous voyons des parents qui déplacent les bébés pour les mettre à l’ombre comme le fait un félin. Nous n’en sommes qu’aux balbutiements de la compréhension. Il faut rester très humbles face à la toute puissance nature qui ne fonctionne pas avec des règles mathématiques et accepter que nous ne comprenions pas tout.
Notre partenaire, la maison Chopard, nous accompagne. C’est une maison suisse et le Pygargue est le symbole de Genève. Le patron de cette entreprise est un vrai passionné qui souhaite vraiment agir pour l’environnement. Nous avons monté une fondation.
Quelle serait votre plus belle récompense ?
Pendant des siècles, on a fait passer les oiseaux de la nature à la captivité. Je souhaite réaliser l’inverse. C’est l’enjeu des 20 prochaines années pour sauver les espèces qui autrement et irrémédiablement disparaîtront.
Mais je n’aurais jamais imaginé que je puisse déjà avoir tant reçu grâce à cette passion.
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