Un entretien avec Mike Bonnano (The yes men) -
Mike Bonnano et son comparse Andy Bichlbaum se sont rendus célèbres par leurs canulars lorsqu’ils ont parodié l’OMC et des grandes multinationales, réussissant même à les faire relayer par des organismes de l’ONU et de grandes universités. Selon Wikileaks, ces Yes Men[1] font l’objet d’une surveillance attentive de la part des grandes sociétés qu’ils ont prises pour cibles. M. Bonnano nous parle de ces tactiques de communication qui prennent d’assaut l’attention du public.
L’un des Yes Men, faux porte-parole de Dow Chemical: “Nous assumons nos responsabilités” pour la catastrophe de Bhopal (1984) qui a coûté la vie à plus de 7’500 personnes, a-t-il déclaré à la télévision le 3 décembre 2005
Pourquoi tourner les organisations internationales en ridicule?
L’ONU en soi n’a jamais été une cible pour nous – je ne crois pas que nos problèmes viennent de l’ONU. L’équité, la redistribution des richesses, la justice mondiale, tous ses objectifs ont beaucoup de sens. Mais ce qu’on voit du fonctionnement des organisations internationales est extraordinairement décevant. Il se peut qu’il y ait des progrès qu’on ne voit pas de l’extérieur, mais globalement, c’est effrayant de penser que nos derniers recours ont failli alors que ne pouvons pas renoncer à agir.
Prenez la politique climatique par exemple. Nous devons agir vite, mais la seule chose dont la communauté internationale s’est montrée capable c’est une impasse diplomatique. Evidemment que les pays en développement veulent se développer à bon compte; évidemment que l’Occident ne veut pas payer la facture. Si les Etats ne peuvent pas bouger, parce que personne ne veut prendre du recul, c’est en bousculant le paysage qu’on peut prendre la parole et pousser les gens hors de leurs habitudes de pensée. C’est une tactique
Prenez la Guerre froide et à la terreur nucléaire. A l’époque, les deux parties en présence devaient anticiper ce qui se passerait si l’autre appuyait sur le bouton rouge. Nous sommes maintenant dans la situation inverse: si personne ne presse sur le bouton vert très vite, nous le paierons tous très cher.
Nous résigner à notre sort, ce serait ignorer les leçons de l’histoire. Dans les deux situations que l’ai mentionnée, des gens comme vous et moi ou des enfants de l’âge de six ans (y compris les enfants de ces diplomates qui ne font pas ce qu’il faut pour notre sécurité) prendraient certainement de meilleures décisions. Nous utilisons le rire et l’espoir, les rêves et les cauchemars pour rouvrir d’autres avenirs. Et ce n’est pas un jeu d’enfant.
Des rêves et des cauchemars?
Nous avons fait des “annonces de rêve”: que, par exemple, Dow Chemical soutiendrait financièrement les victimes de la catastrophe de Bhopal, ou que General Electrics restituerait ses exonérations d’impôts aux gens, ou encore que l’OMC se réorienterait vers les gens plutôt que vers les marchandises. Le Secrétaire général de l’ONU parle de ce qui devrait arriver. Avec nous, cela arrive, dans les médias et dans les esprits, pour quelques heures. Et cela transporte les gens, qui sont ravis de voir que le vent tourne et qu’on adopte de nouvelles valeurs ! Pas la peine de dire que le cours des actions de ces sociétés à la vertu soudaine s’effondre, jusqu’à ce qu’elles arrivent à faire passer leurs démentis par les canaux médiatiques.
Nous avons aussi mené la logique libérale à son extrême et “laissé monter le cauchemar” en suggérant de façon très convaincante qu’en recyclant les crottes des Occidentaux, on pourrait nourrir le Sud, en réhabilitant l’esclavage comme modèle d’efficacité ou en expliquant comment implanter une puce électronique dans le cerveau des employés pour les contrôler. Nous voulions déclencher une réaction en allant juste un peu trop loin. Ou trop vite. Vous seriez surpris de voir jusqu’où on peut aller dans l’absurde avant que quelqu’un réagisse – et c’est exactement ce que nous voulions démontrer: que les gens s’habituent à l’inacceptable.
Comment l’ONU a t’elle réagi?
Lorsque nous avons créé notre premier site parodique l’OMC l’a pris très au sérieux et de façon très agressive. Plus tard, ils ont essayé de nous mettre en orbite de leurs relations publiques en nous invitant à Genève. Mais lorsque nous avons été démasqués après une conférence bidon, ils ont évidemment appelé la sécurité. Les agents nous ont fait sortir, ils ont fait leur travail, toujours de façon très professionnelle et courtoise. Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’ils rigolaient intérieurement…
Et ils n’étaient pas les seuls: je crois qu’il y a plein de gens sympas et sensibles dans ces institutions et ces grandes sociétés. A chacune de nos interventions des membres du personnel sont venus nous dire leur soutien.
Evidemment tout le monde a peur de sortir la tête et de parler. Les fuites et les médias sociaux seront peut-être une nouvelle chance pour les lanceurs d’alerte. Mais ça, c’est une autre histoire. ●
(original anglais)